Handicap, fiscalité et héritage (1999)

Modernité, consommation, zapping... voilà bien de quoi éprouver les relations familiales. Notre droit, lui aussi, s'accommode mal de cette flexibilité en matière de succession, où il se montre encore complexe et rigoureux...

Les faux pas, en effet, ne passent guère inaperçus : les héritiers sont attentifs à leurs droits et veillent à la juste mesure de leur part, l'administration fiscale les imite et s'assure, de surcroît, de la correcte application des règles impératives. L'existence d'un handicap au sein du cercle de famille invite tout spécialement à la prévoyance, afin de protéger la personne en difficulté. Le droit s'associe naturellement à cette préoccupation et offre certaines mesures d'exception. Sur le plan fiscal, des droits de succession sont dus sur toutes les transmissions de biens résultant d'un décès mais des avantages spécifiques peuvent être accordés dans certaines conditions au profit des héritiers invalides.

La succession au profit d'une personne handicapée.
L'ordre public successoral a été instauré par notre droit afin de veiller au maintien de l'équité entre les héritiers, tout en évitant la dispersion des patrimoines familiaux. Il commande par conséquent de distinguer, au sein d'un même patrimoine, entre la réserve héréditaire et la quotité disponible, celle- ci pouvant être librement distribuée par le défunt, de son vivant, en vue de privilégier l'un de ses enfants, en raison notamment d'un handicap.

A défaut d'avoir anticipé par des actes volontaires la dévolution successorale, seules les dispositions légales contenues dans le Code civil trouvent application. Le legs par testament et la donation sont toutefois les moyens privilégiés d'un aménagement planifié de la succession. Si par nature le testament est souple, discret et révocable jusqu'au décès du stipulant, en revanche la donation, excepté celle faite entre conjoints au dernier vivant, a un effet immédiat et ne peut être révoquée. Des aménagements, notamment un abattement spécial, sont prévus en faveur des personnes invalides à l'occasion des opérations de succession, dont la conduite se déroule en trois temps.

Les droits de succession sont calculés sur la part nette, c'est à dire déduction faite des dettes et compte tenu de la valeur des donations antérieures consenties depuis moins de dix années, revenant à l'héritier ou au légataire. Un abattement, dont le montant varie selon la qualité du bénéficiaire, est pratiqué sur cette part nette. Celle- ci est ensuite soumise à un tarif dont le taux varie selon le lien existant entre le défunt et le bénéficiaire. Le montant de l'impôt à payer peut enfin, dans certains cas, être diminué d'une réduction de droits. Les donations sont soumises à un régime fiscal identique à celui des successions, à quelques nuances près.

1- L'abattement spécial en faveur des handicapés.

Champ d'application : L'article 779-II du code général des impôts prévoit que les personnes frappées, au jour de la donation ou de l'ouverture de la succession, d'une infirmité physique ou mentale, congénitale ou acquise, incapables de travailler dans des conditions normales de rentabilité, bénéficient d'un abattement de 300.000 FF (soit 46.000 Euros) sur la part leur revenant. Cet abattement s'applique à toutes les mutations à titre gratuit, entre vifs ou par décès, quel que soit le lien de parenté qui unit le défunt ou le donateur à l'héritier, légataire ou donataire. En outre, une même personne handicapée peut bénéficier de l'abattement autant de fois qu'elle reçoit de legs ou de donations de la part de parents ou de tiers distincts.

Aucun pourcentage d'invalidité, ni aucune nature d'infirmité, pas davantage que sa cause ou son ancienneté, ne sont fixés pour permettre le jeu de l'abattement. Néanmoins, l'infirmité doit empêcher celui qui l'invoque de subvenir à ses besoins. L'article 294 de l'Annexe II du CGI précise à cet égard que toute activité professionnelle doit être rendue impossible dans des conditions normales de rentabilité ou, si l'invalide est âgé de moins de dix huit ans, toute instruction ou formation professionnelle de niveau élémentaire rendue impossible à acquérir.

Il existe cependant des hésitations, introduites par la formulation d'une Instruction du 27 mars 1970, concernant l'octroi de l'abattement aux personnes atteintes d'une infirmité dans certaines circonstances de fait. La jurisprudence a ainsi pu rejeter le bénéfice de l'abattement à une personne, pourtant atteinte d'une incapacité totale de travail, au motif que cette infirmité ne constituait pas une preuve suffisante permettant de considérer que l'intéressé avait été empêché de se livrer à une activité professionnelle économiquement performante. Le chiffre d'affaires de son exploitation n'avait pas cessé d'augmenter et ses effectifs étaient restés fidèles et stables.

De même, l'abattement ne peut être accordé à l'héritier lorsque son infirmité n'empêche pas ce dernier d'exercer des fonctions couramment occupées par des personnes ne souffrant d'aucun handicap, mais seulement de poursuivre l'activité qu'il exerçait auparavant. Bien entendu, si l'invalidité n'était que temporaire à la date de la donation ou de l'ouverture de la succession, l'héritier ne peut pas prétendre au bénéfice de l'abattement spécial.

N'a pu prétendre au bénéfice de l'abattement spécial l'héritier qui, au jour de l'ouverture de la succession, était en retraite de longue date et dont l'infirmité, qui résultait de blessures de guerre, n'avait pas nui au déroulement normal de sa carrière.

Si en outre, l'héritier a été atteint d'une infirmité à un âge avancé, après avoir conduit une vie valide, ou plus généralement s'il est frappé de cette infirmité hors d'une période considérée comme celle de la vie active, alors l'abattement ne peut pas être accordé. Tel fut le cas d'une personne atteinte d'une incapacité totale à l'âge de 71 ans, alors même qu'au terme d'une réponse ministérielle du 22 juillet 1972, il faut considérer qu'une personne âgée de 61 ans peut parfaitement exercer une activité professionnelle normale et par conséquent bénéficier de l'abattement. Pour une raison identique, une personne en retraite anticipée à 60 ans pour inaptitude au travail peut bénéficier de l'abattement prévu à l'article 779-II du CGI.

En tout état de cause, l'infirmité doit exister au moment de la donation ou de l'ouverture de la succession ; le fait que l'héritier ait, postérieurement à la date du décès, exercé une activité, fut-elle à temps partiel, est alors sans incidence.

Justification de l'invalidité : L'héritier, le légataire ou le donataire doit justifier que son infirmité l'empêche de se livrer dans des conditions normales de rentabilité à toute activité professionnelle ou, s'il est mineur, d'acquérir une instruction ou une formation professionnelle de niveau normal. Cette justification peut résulter de tous éléments de preuve, tels qu'un certificat médical circonstancié, ou un certificat émanant d'un établissement scolaire spécialisé. Une décision rendue par la Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel des infirmes, prévue à l'article L.323-11 du Code du travail, classant l'intéressé dans la catégorie correspondant aux handicaps graves ou le déclarant relever soit d'un atelier protégé, soit d'un centre d'aide par le travail, constitue un moyen de preuve couramment admis. Quoiqu'il en soit, il est indifférent que les certificats produits à titre de preuve soient postérieurs à la date du décès du défunt, testateur ou donateur.

Cumul de l'abattement spécial : Les successions ouvertes à compter du 1er janvier 1992, date d'abrogation de la règle du non cumul, peuvent cumuler, d'une part, l'abattement prévu au profit des handicapés et, d'autre part :

- l'abattement dont bénéficie le conjoint survivant, soit 500.000 FF (76.000 Euros).

- l'abattement prévu pour les personnes liées par un Pacte civil de solidarité, soit 300.000 FF (46.000 Euros) pour les successions antérieures au 31 décembre 1999, ou 375.000 FF (57.000 Euros) pour les successions ouvertes depuis le 1er janvier 2000.

- l'abattement applicable en ligne directe, c'est à dire au profit des ascendants et descendants directs, fixé à 300.000 FF (46.000 Euros).

- l'abattement entre frères et soeurs, soit 100.000 FF (15.000 Euros). A noter que cet abattement ne peut être pratiqué que sous trois conditions : au moment du décès, le frère ou la soeur doit d'abord être célibataire, veuf, divorcé ou séparé de corps. A la même date, il doit être âgé de plus de cinquante ans ou atteint d'une infirmité le mettant dans l'impossibilité de subvenir par son travail aux nécessités de l'existence. Enfin, il doit avoir été domicilié avec le défunt au cours des cinq années précédant le décès. Faute de réunir ces trois conditions cumulatives, c'est l'abattement général de 10.000 FF (soit 1.500 Euros) qui s'applique.

Les donations sont soumises aux mêmes règles mais ne bénéficient pas de l'abattement entre frères et soeurs, ni de l'abattement général accordé à défaut d'autre abattement ; en revanche, des avantages spécifiques existent, notamment sur les donations consenties depuis le 1er avril 1996 par les grands parents à leurs petits enfants (100.000 FF soit 15.000 Euros). L'abattement en faveur des personnes atteintes d'une infirmité peut valablement se cumuler avec celui applicable aux donations aux petits enfants.

Déduction des donations antérieures : Le montant des abattements obtenus à l'occasion des donations antérieures de moins de dix ans à la nouvelle mutation ou à l'ouverture de la succession vient diminuer les abattements applicables. En effet, l'article 784 du CGI impose aux parties, à la signature d'une donation entre vifs à titre gratuit ainsi qu'à l'occasion de la déclaration de succession, de faire connaître s'il existe des donations antérieures consenties par le donateur ou le défunt en faveur des donataires, héritiers ou légataires. C'est alors qu'une distinction doit être opérée en fonction de l'antériorité des donations éventuellement déjà réalisées entre les mêmes personnes eu égard à la nouvelle mutation envisagée : les donations passées depuis plus de dix ans sont dispensées du rapport fiscal et ne viennent pas en conséquence diminuer le montant des abattements. Or la mutation antérieure doit avoir été effectuée par donation et soumise aux droits d'enregistrement, car seuls les actes qui constituent de véritables donations, au sens de l'article 894 du Code civil, bénéficient de cette mesure.

2 - Tarifs

Le tarif des droits de mutation à titre gratuit est déterminé en fonction du lien de parenté unissant l'ayant droit au défunt. Il prend la forme d'un taux appliqué par tranche sur la part nette revenant à chaque héritier après abattement. Le barème est différent selon qu'il s'agit de mutations en ligne directe, entre époux ou entre frères et soeurs ou non parents. Les tableaux de l'article 777 du CGI fixent les taux à retenir.

3 - Réductions de droits

Le montant de l'impôt dû, obtenu par application du tarif à la part nette compte tenu des abattements éventuels, peut se voir réduit au profit de certains redevables, notamment les mutilés de guerre. Les droits de mutation dus par les mutilés de guerre, frappés d'une invalidité au moins égale à 50%, sont en effet réduits de moitié, sans toutefois que la réduction puisse excéder 2.000 FF (soit 305 Euros). Ces dispositions sont applicables quel que soit le statut civil ou militaire de l'héritier au moment où l'infirmité s'est produite. Cette réduction de droits peut en outre être appliquée, le cas échéant, après réduction pour charges de famille prévue aux articles 780 et 781 du CGI. Les mêmes réductions sont prévues au titre des actes de donation, qui bénéficient par ailleurs d'une réduction de droits liée à l'âge du donateur, dont le taux est fixé par les dispositions de l'article 790 du CGI à 50% lorsque le donateur a moins de 65 ans et à 30% lorsqu'il a 65 ans révolus et moins de 75 ans, âge à partir duquel les donations ne bénéficient d'aucune réduction.

© Jean-Charles SCOTTI

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