Management hospitalier et Ethique professionnelle

Résumé : Le cadre de santé est tiraillé entre deux impératifs : la garantie d’offrir les meilleurs soins et la recherche de l’efficacité économique de l’activité soignante. En effet, le cadre doit participer à une politique qui contribue au maintien du système de santé, dont la vocation est de préserver le libre et égal accès à la santé. Cependant, l’éthique professionnelle doit par ailleurs représenter un garde fou essentiel faisant obstacle à toute dérive qui éloignerait le cadre de santé de la qualité des soins au profit du rationnement.


Mesdames, Messieurs,

Tout d’abord je tiens à remercier l’Institut de Formation des Cadres de Santé de Montperrin (I.F.C.S.) pour son invitation à votre journée de travail consacrée au « rôle du cadre de santé au regard du soin ».

Après avoir pris connaissance des trois principaux volets de votre thème, je me suis interrogé quant à l’approche qui pourrait au mieux répondre à vos attentes.

J’ai pris le parti de me pencher sur le volet consacré aux missions du cadre de santé au regard d’une réglementation qui l’oblige à « assurer des soins de qualité » mais aussi à « veiller à la maîtrise des dépenses de soins ».

En effet, la gestion quotidienne du cadre de santé consiste à maintenir le fragile équilibre entre ces deux missions, et suppose pour ce faire de gérer une éthique de l’action économique à l’hôpital.

De cette apparente antinomie fonctionnelle, je vous propose de développer un premier volet consacré au cadre de santé gestionnaire de moyens hospitaliers avant de souligner les questionnements éthiques induits par la maîtrise des coûts des protocoles de soins.

Avant de développer mon exposé je ne peux m’empêcher de reprendre, ou plutôt de paraphraser, l’article 2 du code de déontologie médicale car il me semble parfaitement poser le problème que vous aurez à débattre toute cette journée : « Le médecin [Le cadre de santé], au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ».

I/ Le cadre de santé : un gestionnaire de moyens hospitaliers

Qui est le cadre de santé ?

Par cette question je veux rapidement évoquer les motifs qui ont été à l’origine de cette nouvelle fonction avant d’étudier le contenu pour le moins évasif de sa mission à l’hôpital.


A/ Le cadre de santé

La justification d’un cadre de santé :

Pour être sommaire, nous nous accorderons, je pense, à considérer que l’origine de l’émergence du cadre de santé est multiple.

Elle est d’abord le fruit d’une volonté d’émancipation et de responsabilisation de la hiérarchie soignante à l’hôpital, l’objectif de cette aspiration est l’optimisation des réponses données aux besoins sanitaires.

Ce premier motif accompagne une volonté sanitaire de promouvoir la prise en charge globale du patient en favorisant la rationalisation des différentes activités soignantes hospitalières.

Enfin, le cadre de santé représente une réponse efficace dans un environnement sous contrainte économique et financière. Une situation qui impose l’introduction d’un nouveau professionnel plus polyvalent, dont les compétences de gestion et de management doivent être accentuées.

Il s’agit, donc, de façonner une nouvelle forme de travail qui serait inspirée de la culture d’entreprise, obéissant, par là même, à deux principes fondamentaux :

1-La rentabilité ou l’optimisation du rapport coût des prestations / qualité des soins
2-Le management ou l’art de faire converger efficacement toutes les énergies professionnelles vers un dessein fixé collectivement (dans le meilleurs des cas).

Cette culture d’entreprise suppose que les cadres hospitaliers, donc les cadres de santé, s’adaptent aux nouvelles modalités de financement des établissements. L’objectif étant de maîtriser et d’optimiser les moyens qui leurs sont alloués.

Par conséquent, contrairement à la période de croissance, les comportements hospitaliers doivent s’inscrire dans une logique de rationalisation économique. Pour ce faire, il s’agit d’impliquer le personnel médical, mais aussi les soignants, avec le concours des cadres de santé, dans la gestion de leurs activités respectives.

Cette démarche suppose de relancer le principe des centres de responsabilités, tels qu’ils étaient prévus par la loi du 19 janvier 1983 (Loi du 19 janvier 1983 relative à la réforme de la gestion financière de l’hôpital public ; J.O. du 20/01/83, p 374), portant réforme de la gestion hospitalière. Sachant que la finalité de ces centres est, selon circulaire du 18 juin 1984, de répondre « au souci de mieux mettre en évidence, que par le passé, les relations entre les moyens, les coûts et les activités des établissements hospitaliers, et d’associer plus étroitement à leur gestion tous ceux qui, au travers des responsabilités qu’ils exercent et des décisions qu’ils prennent à ce titre, influencent directement les évolutions de ces coûts et activités ».

A partir de ce texte, il devient impératif d’élargir la composition des centres et donc d’offrir une place particulière aux cadres de santé.

La maîtrise des coût c’est quoi exactement ?

- Une réflexion sur les pratiques
- Une réflexion sur le fonctionnement des services
- une réflexion sur l’organisation du travail.

Une mauvaise analyse de l’activité entraîne une mauvaise répartition des moyens. Ne se dirige t-on pas vers une responsabilisation financière du cadre de santé ?

En ce sens, dans la réforme de 1991, les pouvoirs publics mettent particulièrement l’accent sur la responsabilisation des acteurs hospitaliers. Cette philosophie doit, pour être efficace, s’appuyer sur un ensemble de référentiels, qu’il faut d’abord identifier et évaluer avant de les standardiser. Par ailleurs l’ordonnance du 24 avril 1996, favorise la contractualisation d’objectifs et de moyens, notamment entre les équipes et la direction. Ainsi la mission du cadre de santé, dans son volet maîtrise du coût des activités soignantes, prend toute sa mesure.

La procédure d’accréditation, qui doit être mise en place, ne fait qu’accroître cette dimension économique et managériale, que doit réussir le cadre de santé à l’hôpital public.

La culture d’entreprise est en route, mais est-elle inéluctable ? ou tout du moins quelle est sa limite ?


Quelle est donc la mission du cadre de santé ?

On ne peut pas dire que le texte, qui introduit cette catégorie professionnelle, soit très éclairant à ce sujet. C’est pour cette raison, que je considère, que la mise en place du cadre de santé est un laboratoire juridique et professionnel unique dans l’univers hospitalier qui mérite toute notre attention, mais aussi la plus grande vigilance.

Si l’absence de définition pose des difficultés dans l’immédiat, elle est par ailleurs, source de potentialités professionnelles très importante. En effet, le vide juridique permet au sujet de droit de le combler s’il se donne les moyens de réfléchir au contenu professionnel et éthique qu’il entend donner à sa mission.

Selon le décret, et son arrêté pris en application, le diplôme de cadre de santé a pour «ambition, de favoriser l’acquisition d’une culture et d’un langage commun à l’ensemble des cadres de santé, afin d’enrichir les relations de travail et les coopérations entre les nombreuses catégories professionnelles, indispensables à la cohérence des prestations» (Décret du 18 août 1995 et arrêté pris en application (même date) ; B.O. n° 33 du 26 septembre 1995). La finalité affirmée est l’efficience des prestations de soins.
Cette rationalisation ne peut-elle pas être analysée comme un appauvrissement de l’identification professionnelle de la soignante, avec l’abandon de sa hiérarchie spécifique ?

Par ailleurs, cette nouvelle catégorie professionnelle peut, contrairement à l’objectif affiché, représenter un frein non négligeable dans la rationalisation de l’activité de soins. En effet, la rationalisation suppose la concertation donc une participation et une adhésion. Bref, une démarche qui suppose une très grande proximité entre cadres et soignants. Ce cadre de proximité existe t-il aujourd’hui encore ?
Ce nouveau statut nous apparaît au contraire distendre un peu plus les relations du cadre avec son équipe de soignants.

On peut légitimement se poser la question de savoir si le cadre de santé sera encore demain un cadre soignant ou un seul manager ?

Pour synthétiser mon propos sur le rôle du cadre de santé, je retiendrai trois points essentiels composant sa mission :

1- Il est garant de la qualité des soins
2- Il participe à la maîtrise des coûts
3- Il est un élément de changement à l’hôpital, de par sa place charnière entre organisation des activités de soins et participation au processus décisionnel de l’hôpital.



B/ L’enjeu pour le cadre de santé

Le cadre de santé, acteur à part entière de la politique de santé publique, est partie prenante à l’action visant à maîtriser les dépenses de santé, tout en garantissant la qualité la meilleure des prestations de soins hospitalières.

Aujourd’hui comme dans tous les pays industrialisés, notre système de santé est confronté aux problèmes de la maîtrise de l’accroissement des dépenses de santé et de l’accès de tous à des soins de qualité.

Le compromis entre ces deux impératifs supposent que les pouvoirs publics, en collaboration avec tout responsable hospitalier, arrivent au « maintien d’un niveau acceptable d’équité dans l’accès aux soins ».

Ce dessein, recherché par les pouvoirs publics, ne peut être réalisé indépendamment des professionnels, sachant que ces derniers sont très attachés à leur indépendance, à la qualité des services rendus, et donc, à leur autonomie de décision.


Pour obtenir ce consensus plusieurs dispositifs doivent, selon nous, être mis en place.

- D’abord une répartition claire de responsabilités. Le cadre de santé est le fruit de cette responsabilisation souhaitée par les pouvoirs publics. L’objectif étant de favoriser la participation décisionnelle de ces derniers aux dispositifs de la maîtrise des dépenses, et donc de la politique de rationalisation des actes.
Cependant, comment exiger du cadre de santé d’affecter au mieux un budget s’il n’a aucun maîtrise dans sa détermination et son affectation ? Il est indispensable pour ce dernier de pouvoir intervenir dans le processus décisionnel hospitalier, et pour cela de participer activement à la reconnaissance d’une dotation budgétaire spécifique au service infirmier. La contre partie de pareille prérogative suppose, nous semble t-il, une responsabilisation économique du cadre de santé dans l’exécution efficiente du poste dont elle a la responsabilité (sanction / récompense).

- Puis un processus de concertation réel dont l’objectif est d’associer au mieux les soignants hospitaliers, afin d’accroître le niveau d’acceptation des orientations budgétaires adoptées. Pour ce faire, le cadre doit mettre en place une procédure de participation et de sensibilisation avec le groupe de soignants dont il assure la direction. Bref, il doit veiller à ce que l’information circule de manière efficace à tous les niveaux. La concertation et la circulation de l’information étant corrélatives à la responsabilité économique du cadre de santé, dans la mesure où elles doivent permettre une responsabilisation globale des professionnels soignants travaillant sous l’autorité du cadre de santé.

- Enfin, la mise en place d’outils d’aide à la décision qu’offrirait la procédure d’accréditation dans les référentiels qu’elle dégagera. Pour le cadre de santé il s’agit de dégager un système d’information sur le rapport coût / efficacité des soins, et le mettre à la disposition des personnels soignants. Il s’agit de permettre de mesurer les résultats grâce à une standardisation des actes de soins et à une procédure d’évaluation éprouvée, qui là aussi doit être concertée et approuvée par le plus grand nombre. Au delà du rapport coût / efficacité, c’est la garantie des meilleurs soins, essence même de la mission du cadre soignant, qui doit être assurée grâce à une procédure d’évaluation et de contrôle.

En fait, l’enjeu pour le cadre de santé est de trouver la méthode la meilleure, dans le respect de la pratique individuelle des soignants, de s’approprier des objectifs sanitaires (amélioration de la santé de la population) et économiques (à un coût donné pour la collectivité) globaux.


II/ Les questionnements et la place de l’éthique professionnelle

Au delà du questionnement professionnel sur le contenu de la mission du cadre de santé, au regard des objectifs sanitaires et économiques, une autre série d’interrogations se pose. Il s’agit des difficultés éthiques que soulèvent l’interpénétration de l’économie dans l’exercice de l’encadrement dans le domaine de la santé.

Les questions les plus prégnantes pour l’acteur de santé sont les suivantes :

- Comment répondre aux exigences économiques sans préjudice sur la qualité des prestations de soins ?
- Acceptera-t-on de ne pas offrir à un patient telle technique de soin coûteux, ou telle technique nouvelle, sous prétexte d’économie budgétaire ?
- L’éthique est elle un garde fous contre toute dérive conduisant au rationnement ?
- Qu’en est-il du principe d’indépendance professionnelle, qui caractérise toute profession de santé, avec l’introduction du cadre de santé ?
- De quels pouvoirs dispose un cadre de santé dans le domaine de compétence du soignant et dans celui de son éthique professionnelle ?
- Le soignant hospitalier peut-il s’opposer au cadre infirmier, arguant son éthique et son autonomie d’action ?

Enfin, dans quelle mesure le cadre engagera-t-il sa responsabilité s’il y a restriction préjudiciable des actes de soins pour des motifs budgétaires ?


- L’éthique et le cadre de santé

De manière liminaire, il m’apparaît utile, dans le cadre d’une réflexion sur les questions d’éthique que soulève le management hospitalier, de s’attacher à la définition que nous donnons à l’éthique.

L’éthique consiste à la recherche d’un fondement à la morale et une justification à la conduite, que la connaissance scientifique ne paraît pas pouvoir apporter, et à fortiori le pouvoir réglementaire. Dans ce cadre, le fondement de la morale et la justification de notre conduite humaine, ou encore professionnelle, se résume à la seule nécessité de promouvoir la vie.

Ce fondement moral n’est pas une pure abstraction pour le cadre de santé, si l’on considère que sa mission est de veiller à ce que les protocoles mis en place garantissent la promotion de la vie.

Cette mission, me direz vous, est vraie pour le cadre soignant tel que nous le concevions traditionnellement, mais quand est-il exactement du cadre de santé ?

On peut se demander dans quelle mesure le droit ou la législation sanitaire peut constituer un fondement, et une justification suffisante, à nos comportements professionnels ?
Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les comportements régis par la loi sont ou peuvent paraître bien souvent contradictoires.

Si une réflexion sur l’éthique professionnelle parait décalée avec le droit ou les impératifs économiques, elle n’est pas pour autant vaine, car concertée elle permet d’édifier une profession, ou tout au moins de lui donner un contenu lorsque cela est nécessaire.

Il ne faut pas perdre de vue que, dans le domaine de la santé, le droit a la seule prétention d’accompagner (souvent avec grande peine) les pratiques professionnelles adoptées. Des pratiques qui sont admises parce qu’elles correspondent aux besoins sanitaires du moment, mais aussi parce qu’elles sont moralement validées par les acteurs de soins concernés. Le droit à ce stade n’est pas encore invité au bal.

Deux problématiques me paraissent intéressantes d’être évoquées. Il s’agit d’une part du risque de rationnement des soins induits par l’économie et observer dans quelle mesure l’éthique professionnelle peut s’opposer à ce danger. D’autre part, il s’agit du problème que pose la rationalisation des activités de soins au regard de l’indépendance professionnelle et de l’autonomie d’action reconnue à tout professionnel du soin.


A/ De la rationalisation au rationnement des activités de soins

Rappelons un texte fondamental que nous devons toujours garder à l’esprit le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que : « La nation... garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs la protection de la santé »

Ce principe, quels que soient les impératifs économiques conjoncturels, doit être garanti, d’autant plus que le Conseil Constitutionnel a consacré clairement la valeur constitutionnelle à la protection de la santé que le législateur ne peut enfreindre.

L’éthique professionnelle d’un soignant, ou d’un cadre de santé, est présidée par ce principe de protection de la santé. Rien ne peut y porter atteinte, sauf à violer un droit fondamental, et à en tirer les conséquences juridiques en termes de responsabilité.

Par ailleurs, si le soignant est au service de l’individu, il est aussi au service de la santé publique et ne peut, de ce fait, ignorer les contraintes économiques, et la menace qu’elles font peser sur le principe du libre et égal accès à la santé, consacré à de multiples reprises par le Conseil d’Etat.

En ce sens, force est d’admettre que participer à la maîtrise des dépenses de santé est un impératif d’intérêt général auquel l’éthique professionnelle doit participer. Le nier est une grave erreur qui mettrait en péril le système de santé.

Cette approche est rappelée par le Livre blanc de 1994 qui brandit la menace pesant sur le système sanitaire en affirmant qu’« en refusant de mettre en place des mécanismes de régulation des dépenses de santé, la société [...] risque de remettre en cause l’éthique qui fonde le système de santé ». ( Livre blanc sur le système de santé et d’assurance maladie ; La documentation française, 1994, p37)

Par conséquent, l’opposition des professionnels supposerait une participation active à ce risque. C’est pourquoi il appartient au cadre de mettre en place une vraie réflexion sur les modalités permettant de s’assurer de l’adhésion des soignants qu’il encadre.

Cette casuistique à laquelle est soumis le cadre de santé me donne l’occasion de reprendre les propos du Professeur Louis Dubouis selon lesquels, au sujet des médecins face aux contraintes économiques, « le médecin a raison de ne pas accepter d’être obligé de refuser les meilleurs soins à son patient dans le but de réserver des ressources pour d’autres patients. Mais que fera-t-il lorsque viendra le tour de ces derniers ? Face à des ressources limitées, la justice exige que chaque patient ait le droit d’accès aux soins le plus étendu qui soit compatible avec ce même droit pour les autres [...] Aucune formule mathématique ne détermine le lieu géométrique de ces trois vecteurs : liberté, qualité et égalité des soins ». (Pr Louis DUBOUIS ; Bulletin Ordre n° 357, décembre 1997, p 391-397)

Le consensus, qui doit naître de cette contradiction apparente entre la qualité au service de l’individu et la protection générale du système de santé, se traduit, pour le cadre de santé, par l’examen rigoureux des dispositions dont la finalité est de rationaliser l’activité en vérifiant leur pertinence et leur opportunité au regard « de l’intérêt du patient ».


B/ Problème de l’autonomie professionnelle et au regard des impératifs économiques

Pourquoi soulever l’autonomie professionnelle sous l’angle de l’éthique professionnelle tandis que l’on évoque la maîtrise des coûts du soin dévolue au cadre de santé ? Parce qu’elle représente la pierre angulaire de l’activité soignante.

L’autonomie représente la condition sine qua non qui permet à la soignante de mettre en place les soins les soins les plus appropriés, et ce dans le respect de l’article 26 des règles de la profession infirmière, qui dispose que : « l’infirmière agit en toute circonstance dans l’intérêt du patient ». Cet article est fondamental, car il nous permet de conclure que l’acte de soin doit, d’abord, répondre à l’intérêt exclusif du patient, et donc ne peut souffrir d’aucune exception, car aucune situation ne peut justifier que l’intérêt du malade ne soit pas retenu prioritairement. Par conséquent, une action limitée, en l’occurrence pour des motifs économiques ou financiers, dont les conséquences seraient dommageable pour le patient, exposerait immédiatement l’auteur à une action civile ou pénale. Force est de conclure que le motif économique, quelque soit sa légitimité, ne peut être retenue comme une cause exonératoire de responsabilité du soignant ou du cadre de santé sous l’autorité duquel il exerce son activité.

La qualité des soins, dont le cadre est responsable, pose le problème de l’autonomie des professionnels face à la normalisation des pratiques et à la maîtrise comptable des techniques de soins. Ce problème se pose avec d’autant plus d’acuité que l’activité soignante, en l’occurrence l’activité infirmière, dispose aujourd’hui d’une réelle autonomie avec son rôle propre, son diagnostic, son autonomie dans la gestion de l’écrit et pourquoi pas un jour avec la reconnaissance juridique d’une « prescription soignante ». Par ailleurs, comment ne pas évoquer la recherche en soins infirmiers que les pouvoirs publics souhaitent voir promouvoir par le sommet de la profession soignante, en l’occurrence le cadre de santé. Ainsi, comment mettre en place « ... une recherche appliquée visant à produire des savoirs destinés à améliorer la connaissance et la prise en charge des problèmes de santé » (Mme I. FERONI ; « La recherche infirmière : construire scientifiquement la prestation soignante » ; Gestions hospitalières, n° 320, p 731-734) dans un système qui régule l’activité soignante acquise ? Sauf à considérer que la recherche n’a pas pour objet exclusif l’optimisation de la qualité et la continuité des soins, mais la recherche de l’efficience du rapport qu’il peut y avoir entre la prestation de soin son coût.

Comment l’autonomie peut-elle être mise en danger ?

Si l’on considère que le souhait des pouvoirs publics est d’optimiser le rapport qualité des soins/coût, il ne peut en être autrement qu’avec un dispositif d’évaluation, seul instrument permettant de mesurer la réalisation des objectifs prédéterminés. Si l’évaluation permet, incontestablement, de garantir la qualité et la sécurité des soins, il s’agit surtout d’un outil économique qui est inséparable de la notion de sanction.

Dès lors, le risque d’une inertie professionnelle est patent, et peut être à l’origine d’une désorganisation, ou encore de situations à risque, dont le patient serait la victime. L’inertie en cause serait le résultat d’une indépendance d’action et d’une initiative professionnelle limitées. Dans cette hypothèse c’est le fondement même de l’activité soignante qui est mis en danger dans la mesure où l’article 9 du décret du 16 février 1993 dispose que « l’infirmière ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». (Décret du 16 février 1993, relatif aux règles professionnelles infirmières ; J.O. 18 février, p 2646). S’il est convenu que cette indépendance peut être menacée par une rétribution basée sur des obligations de rendement, ne pourrait-elle pas être liée par la mise en place de mécanisme de rationnement des soins ? C’est sur ce terrain que l’éthique professionnelle doit servir de rempart et former une résistance résolue contre toute dérive vers un système de contrôle excessif des dépenses.

L’introduction d’une procédure d’accréditation pose singulièrement la question de l’autonomie professionnelle lorsque d’aucuns l’envisagent comme un habile procédé de contrôle de l’activité soignante au détriment de la liberté et de la responsabilité du soignant hospitalier. Le cadre de santé peut-il servir de rempart contre cette tentation comptable de l’activité hospitalière ?

Par ailleurs, cette autonomie du soignant n’est-elle pas restreinte avec l’abandon du cadre soignant pour un cadre de santé, plus managérial ? En effet, il est intéressant de se pencher sur la nature juridique du cadre de santé pour déterminer sa capacité à infléchir une politique qui risquerait de menacer la qualité des prestations de soins.

Jusqu’à la création du cadre de santé, l’encadrement est assuré par une soignante à qui l’on garantit une autonomie d’action dans le domaine du soin. Aujourd’hui le fait de devenir cadre de santé, impliquant juridiquement l’abandon d’une activité de soin, permet-il à cet encadrement de défendre encore une quelconque autonomie professionnelle ? Non si l’on considère qu’en devenant cadre de santé l’on renonce au soin, au profit exclusif du management.


Conclusion

Je conclurai mon intervention sur l’évolution du système de santé, notamment, avec l’introduction du cadre de santé, au regard de la responsabilité professionnelle.

Il est traditionnellement admis que le cadre de soins est responsable du respect de la réglementation régissant l’activité des soignants, dont il assure la direction. Lorsque le cadre est issu d’une catégorie professionnelle, et que sa vocation est d’encadrer l’activité soignante de ces personnels il n’y a pas de problème. Cependant, lorsque le cadre est formé essentiellement dans le dessein d’assurer un rôle managérial, au détriment de son activité de soin, qu’en est-il de cette responsabilité si spécifique ?

Par ailleurs et pour terminer, si l’on considère que les pouvoirs publics, sous le poids des dépenses de santé, mettent en place une politique de rationalisation des activités, dont la conséquence possible est d’accroître les risques sanitaires, et donc, les risques juridiques, que devient la nature juridique du fait générateur du préjudice ? Continuera t-on à couvrir l’agent, auteur du dommage, avec pour conséquence d’accroître le coût économique du contentieux hospitalier ? Cette question doit nous interpeller d’autant plus que l’on assiste aujourd’hui à une judiciarisation galopante de l’environnement hospitalier. Il serait absurde pour les pouvoirs publics de diminuer les coûts de fonctionnement en prenant le risque d’augmenter le coût du contentieux hospitalier, sinon à recourir davantage à des actions récursoires contre l’agent, en l’occurrence le cadre de santé, afin de recouvrer les indemnités versées l’occasion d’un dommage.

Enfin, ne perdons pas de vue que, toute action dommageable peut faire l’objet d’un recours devant les juridictions pénales contre un agent hospitalier. Ce risque étant de plus en plus important, la question de l’éthique professionnelle, dans les termes que nous venons d’évoquer, se pose avec d’autant plus d’importance.

© Jean-Charles SCOTTI

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