Introduction au Droit de la santé

INTRODUCTION

La santé a toujours été affaire à la fois individuelle et collective. Les règles fondamentales de la pratique médicale, règles techniques et déontologiques, fixées par Hippocrate de Cos (env. 460-380 avant J.-C.) sont individualistes: c'est l'origine du « colloque singulier » entre le médecin et le malade, mais aussi de la relation personnelle entre le médecin et son élève. Parallèlement, pour- tant, l'importance des institutions hospitalières de l'Antiquité gréco-romaine et du Moyen Age chrétien révèle l'aspect communautaire de la médecine. Cette double conception, sans. doute inévitable s'est perpétuée jusqu’à nos jours ;
l’aspect collectif l’emporte parfois, soit parce que l’efficacité de la prévention dépend du recours à la contrainte publique (isolement des contagieux, vaccinations obligatoires), soit en raison du coût élevé des dispositifs de protection sanitaire (hôpitaux modernes) ;

l'aspect individuel l'emporte à son tour au au moment des progrès de la médecine curative qui mettent l'accent sur l'acte thérapeutique ou lorsque la philosophie libérale remplace le concept de ministère médical, fondé sur l'idée de service (ministerium) par la référence à un con- trat passé entre un professionnel (médecin ou autre) et un client (Cass. civ ., 20 mai 1936).


Il est certain que ce qu’il est convenu d’appeler « droit de la santé » résulte d’une prise de conscience de la rencontre de ces deux évolutions collective et publique d'une part, individualiste et libérale d'autre part. Mais l'histoire du droit de la santé est encore à faire car une partie importante de l'évolution est mal connue, celle du régime juridique applicable à la relation personnelle malade-médecin.

Actuellement on n'évoque, au titre de l'histoire du droit de la santé, que l'évolution des interventions et des institutions publiques qui, elles, sont bien connues. Il en résulte un certain gauchissement de la pe.rspective qui conduit à confon- dre droit de la santé et droit de la santé publique alors que, à l'évidence, les relations juridiques qui naissent dans ce secteur de l'activité humaine relèvent pour une large part de la vie privée, du droit civil et du droit commercial.

Les interventions publiques en matière sanitaire ont toujours pris trois formes principales:

les réglementations publiques de police sanitaire à but préventif (construction, alimentation, assainissement) ou desti- nées à freiner la propagation des maladies ( quarantai- nes) sont d'origine fort ancienne;

la surveillance des professions de santé a toujours été confiée à des organisations de type corporatiste (l'Université au Moyen Age, les Ordres professionnels aujourd'hui) avec l'ap- pui de l'Église puis des autorités laïques, parfois de l'État lui-même ;

la gestion des grandes institutions hospitalières, d'abord assurée par l'Eglise et par des fonda- tions individuelles au nom de la charité, a été par la suite confiée aux collectivités locales et à l'État (v. loi hospitalière du 7 août 1851) au nom de l'assistance puis de la solidarité nationale. Le droit de la santé pu- blique pourrait apparaître comme une branche du droit public ou du droit social.

Ainsi l'identification d'une discipline autonome dé-nommée droit de la santé paraît impossible; son exis- tence même est discutable. Et pourtant le droit de la santé a trouvé un puissant facteur de cohérence avec l'affirmation contemporaine du droit à la santé.
-Droit à la santé et droit de la santé


Grâce au choc scientifique du xxe siècle, la méde-cine remporte des succès de plus en plus spectaculai res, en tout cas imprévisibles pendant tout le millénaire préscientifique. Dès lors se pose la question de sa diffusion, au plus haut niveau de qualité possible, auprès de l'ensemble des populations, et ceci en dépit du coût croissant de la santé.

En France cette préoccupation prend d'abord la forme de l'assistance médicale gratuite (loi du 15 juill. 1893) puis de l'assistance aux vieillards, infirmes et incurables privés de ressources (loi du 14 juill. 1905) reprises aujourd'hui par l'aide sociale: « Tout Français malade, privé de ressources suffisantes, peut recevoir soit à domicile, soit dans un établissement hospitalier et à la charge totale ou partielle du service de l'aide médicale, les soins que nécessite son état » (art. 179 du Code de la famille et de l'aide sociale) et enfin la CMU.

A partir de 1928, les assurances sociales rendent les soins médicaux de plus en plus accessibles au monde du travail. Le terme de cette évolution est le Préambule de la Consti- tution de 1946 selon lequel « la Nation garantit à tous (...) la protection de la santé ».

C'est donc au lendemain de la deuxième guerre mondiale que, parmi les droits subjectifs et sociaux figure le droit à la santé.

Au niveau international, l'Organisation mondiale de la santé (créée le 22 juill. 1946) se fixe pour objectif « d'amener tous les peuples au ni- veau de santé le plus élevé possible ».

Ce droit est cependant un droit relatif comme en témoigne l'article 25-1 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 «
Le droit à la santé ainsi reconnu et proclamé solennellement ne peut être qu'un droit aux soins et non un droit absolu à une santé parfaite. C'est ce qu'exprime le Préambule de la Constitution de l'OMS : « La possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain. »

Face à ces proclamations, la tentation est grande de définir le droit de la santé comme l'ensemble des règles juridiques applicables à la mise en reuvre du droit à la santé. C'est sans doute cette idée qui est à l'origine du développement d'études, d'ouvrages et d'enseignements consacrés à ces règles.

C'est parce que la santé est au coeur d'un ensemble de relations juridiques, privées et publiques, qu'elle justifie et fonde en même temps une certaine unité juridique.

Sans méconnaître le caractère excessif de la comparaison, on pourrait rapprocher la naissance du droit de la santé de celle du droit social: d'abord voué à la protection de l'homme au travail, le droit social s'intéresse aujourd'hui au travailleur sans emploi; né de l'aspiration à un « droit à la santé », le droit de la santé s'intéresse aussi aux moyens d'empêcher la survenance de la maladie.

Le droit à la santé ne suffit cependant pas à définir et justifier le droit de la santé, pour deux raisons principales.

La première est que la définition de la santé est controversée. La célèbre définition de l'OMS ( « état de complet bien-être physique, mental et social » et non pas seulement « absence de maladie ou d'infirmité » ) est étrangement extensive. La retenir sans réserve conduirait à aborder l'ensemble du droit social et donc à nier l'existence et la spécificité d'un droit de la santé. Le bien-être social est une notion trop subjective pour être retenue, même si chacun comprend qu'il a des ré- percussions sur la santé physique et mentale.


La seconde est que le droit à la santé se réalise à travers toutes sortes d'institutions et de mécanismes qui ont déjà leur unité, droit de la sécurité sociale, droit de l'aide sociale, en particulier.

Or le droit de la santé prétend conquérir son autonomie par rapport à ces disciplines. C'est aussi pourquoi le droit de la santé se distingue du droit social: son autonomie, son unité et ses caractères procèdent de principes différents.


II. -Autonomie et caractères du droit de la santé

Le droit de la santé n'est pas une branche du droit au sens où on peut l'entendre pour le droit fiscal ou le droit pénal.

C'est cependant une discipline nouvelle dont la spécificité ne cesse de s'affirmer, de la même manière que, par exemple, pour le droit de l'environnement, ou le droit de la construction.

Son homogénéité ne provient pas des techniques juridiques auxquelles il recourt ; au contraire l'un de ses principaux caractères est d'emprunter tantôt au droit privé, tantôt au droit public.

Son principe d'unité est fonctionnel: le droit de la santé est l'ensemble des règles applicables aux activités dont l'objet est de restaurer la santé humaine, de la protéger et d'en prévenir les dégradations.

De cette définition il ressort :


- que sont exclues de son champ toutes les activités et institutions à caractère social dont l'objet sanitaire n'est pas direct, mais qui ne visent qu'à fournir aux individu,s les moyens financiers de se soigner ;

- que sont au contraire englobées toutes les règles applicables à l'activité médicale et hospitalière ;

- que le droit de la santé se distingue du droit social en ce qu'il n'a pas pour but de remédier à des inéga-lités sociales ou économiques mais s'intéresse indif- féremment au riche et au pauvre même si, bien en- tendu, les règles applicables à l'un et à l'autre ne sont pas toujours identiques ;

- que le droit de la santé concerne autant les bien-portants que les malades ;


- que, enfin, parmi toutes les espèces vivantes, seul l'homme est à la fois sujet et objet du droit de la santé.


De ces caractères et de ces limites du droit de la santé il ressort aussi qu'il serait arbitraire de lui prêter un système autonome de sources hiérarchisées entre elles. Dans la mesure où le droit à la santé se présente aujourd'hui comme un droit subjectif, une créance de l'individu sur la société, les sources constitutionnelles et législatives doivent cependant être repérées.

Or sur ce point on ne peut citer que le Préambule de la Constitution de 1946, repris en 1958 selon lequel la Nation garantit à tous la protection de la santé.

Il s'agit de l'un des principes considérés comme particulièrement nécessaires à notre temps par le Préambule et dont le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle (Cons. const., 18 janv. 1978) mais sans en tirer de conséquence précise sur la valeur juridique des principes actuellement appliqués en matière médicale (liberté de choix du médecin par le malade, li- berté de prescription du médecin).

Ces principes sont sans doute de valeur législative en ce qu'ils touchent aux principes fondamentaux de la sécurité sociale visés à l'article 34 de la Constitution; d'autres affectent les libertés publiques (secret professionnel), le régime de la propriété ou les obligations civiles, de sorte que la loi est la source principale du droit de la santé.

On ne saurait sous-estimer cependant l'importance de la jurisprudence, caractéristique de notre discipline : ainsi
l'existence et le contenu du contrat de soins sont des découvertes de la jurisprudence judiciaire; ainsi encore le régime de la responsabilité civile est en grande partie une création des jurisprudences administrative et judiciaire.

Dans ces domaines les tribunaux se sont d'ailleurs inspirés des usages professionnels, techniques ou déontologiques, les introduisant ainsi de façon indirecte dans les sources du droit de la santé.

© Jean-Charles SCOTTI

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