Droit Médical
Les contours du devoir d’information du médecin
Janvier 2001
Traditionnellement la jurisprudence, fidèle au principe général de la responsabilité pour faute, consacrait la règle de l’administration de la preuve de l’erreur fautive par le patient.
Or, devant les grandes difficultés que rencontre ce dernier pour établir le défaut de consentement éclairé à l’acte thérapeutique, les magistrats ont été amenés à aménager le principe « Actori incubit probatio ».
En effet, les arrêts du 25 février 1997 et du 14 octobre 1997 de la Cour de Cassation ont bouleversé les cartes de ce contentieux, en renversent la charge de la preuve mais aussi en modifiant considérablement le contenu de l’information.
Pour mémoire, il faut rappeler que le médecin ne peut, sauf urgence, entreprendre une démarche thérapeutique sans le consentement du patient.
Ce principe est affirmé dans plusieurs textes :
L’article 16 du Code Civil dispose qu’ « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de
l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas ou son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».
L’article 35 ali.1 du nouveau Code de déontologie médicale précise que « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ».
L’article 36 du même code dispose quant à lui que « le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences ».
Par ailleurs, la jurisprudence sur ce principe a affirmé, de manière constante, que le médecin devait recueillir du patient un consentement « libre, éclairé et conscient ».
Le contour traditionnels du devoir d’information étaient définis par l’arrêt ROUSSELIN, en date du 21/02/1961, selon lequel l’information qui était due au patient devait revêtir les caractéristiques suivantes :
-Simplicité
-Approximation
-Intelligibilité
-Loyauté
L’approximation s’expliquant au regard de l’article 35 du Code de Déontologie médicale qui prévoit d’une part, dans son alinéa 1 que « l’information doit être adaptée », selon le risque de l’acte envisagé mais aussi selon les prédispositions du patient lui même ; D’autre part, l’alinéa 2 dudit article autorise le médecin à opérer une rétention de l’information s’il l’estime utile dans l’intérêt du patient.
Cette approche du devoir était corroborée par une jurisprudence qui a toujours opéré une appréciation très relative du contenu de l’information, puisque ce dernier était apprécié selon les « risques normalement prévisibles » mais aussi au regard de situations particulières (Expérimentation médicale, chirurgie esthétique etc.).
Quant au principe « Actori incubit probatio », là aussi la jurisprudence était non équivoque puisque, dans un arrêt du 29 mai 1951 ( Affaire MARTIN), la Cour de Cassation énonce clairement le principe suivant :
« Si le contrat qui se forme entre le chirurgien et son client comporte l’obligation pour le praticien de procéder à une opération chirurgicale par lui jugée utile qu’après avoir au préalable obtenu l’assentiment du malade, il appartient toutefois à celui-ci, lorsqu’il se soumet en pleine lucidité a l’intervention du chirurgien, de rapporter la preuve que ce dernier a manqué à cette obligation contractuelle en ne l’informant pas de la véritable nature de l’opération qui se préparait et ne sollicitant pas son consentement à son opération » A la lecture de cet arrêt nul doute que le défaut d’information est une faute et que celle-ci doit être établie par le patient.
Les contours du devoir d’information seront considérablement ébranlés par l’arrêt « HEDREUL » du 25 février 1997 (Ch Civ. C. Cass). Les faits à l’origine de ce revirement de jurisprudence sont relativement simples, puisqu’il s’agit d’une perforation de la paroi intestinale occasionnée lors d’une coloscopie. A cette occasion, le patient a entrepris d’engager la responsabilité de son médecin, considérant que ce dernier avait omis de l’informer des risques de l’acte pratiqué.
La solution paraissait simple au regard de la jurisprudence, dans la mesure où la prévisibilité de la réalisation de cet accident était statistiquement faible, dispensant dès lors le praticien d’informer son patient.
La Chambre civile de la Cour de Cassation, dans son souci de garantir, en priorité, les droits du patient, l’a entendu autrement. Non seulement, elle affirme le principe que le devoir d’information qui pèse sur le praticien ne s’apprécie plus en fonction du seul risque statistiquement avéré mais aussi fait table rase du sacro-saint principe « actori incombit probatio » :
« Le médecin est tenu d’une obligation particulière d’information vis à vis de son patient et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation ».
Dorénavant, l’information doit être la plus large possible puisque elle embrasse, d’une part, les risques prévisibles et courants et d’autre part, les risques majeurs. Dès lors l’information doit être « loyale, claire et appropriée sur les risques ».
Cependant, le renversement de la charge de la preuve ne suppose pas une présomption irréfragable, puisque la 1ere Chambre Civile de la Cour de Cassation consacre, le 14.10.1997, le principe selon lequel la preuve peut être rapportée par le médecin par tous
les moyens.
« S’il est exact que le médecin a la charge de prouver qu’il a bien donné à son patient une information loyale, claire et appropriée sur les risques des investigations ou soins qu’il lui propose, de façon à lui permettre d’y donner un consentement ou un refus éclairé, et si ce devoir d’information pèse aussi bien sur le médecin prescripteur que sur celui qui réalise la prescription, la preuve de cette information peut être faite par tous moyens ».
Conclusion
Force est d’admettre que le praticien médical est aujourd’hui dans une situation bien périlleuse dans l’exercice de son activité mais et surtout, dans un flou artistique qui n’est pas sans influencer son art et ses relations avec le patient.
Plusieurs questions se posent :
1- Comment concilier les nouveaux contours du devoir d’information avec l’article 35 ali.2 du nouveau code de déontologie qui dispense le médecin, dans l’intérêt du patient, de révéler toutes les informations qu’il détient ?
Rappelons que cette disposition est animée par un esprit d’humanisme dans la mesure où elle permet d’accroître au mieux l’efficacité d’un traitement mais aussi l’indispensable adhésion du patient au protocole de soins mis en place. « Le médecin ne doit pas semer le désespoir » !
2- Comment le médecin pourra t-il de façon préventive se constituer des preuves permettant de réduire au mieux les risques juridiques auxquels il est exposé ?
Cette démarche, animée par la crainte du contentieux, ne risque t’elle pas de parasiter l’exercice de l’art médical en compromettant le « colloque singulier » liant le médecin et son patient ?
Cette question est prégnante pour le médecin, qui multiplie la production de documents prouvant l’exécution de son devoir. Or, il ne faut pas perdre de vue que ces écrits ne permettent pas au juge d’apprécier la qualité de l’information, partie intégrante du devoir d’information. De plus, il n’est pas inutile de rappeler que pareils documents ne constituent qu’un commencement de preuve de l’exécution de son obligation et non une preuve.
3- Dans la mesure où l’arrêt du 14.10.1997 précise : « … ce devoir d’information pèse aussi bien sur le médecin prescripteur que sur celui qui réalise la prescription… », il n’est pas exagéré de considérer qu’une condamnation in solidum des deux intervenants est parfaitement possible. Dès lors, on peut se poser les questions, forts délicates, de l’évaluation respective du devoir d’information et de la répartition de la responsabilité dans la pratique médicale mais aussi dans les prétoires.
Le consommateur de soins, bien que protégé par ce revirement, n’est pas pour autant à l’abri des embarras posées par la Cour de Cassation. En effet, il faut garder à l’esprit que le seul dommage envisageable dans ce type de contentieux réside dans la notion de « perte de chance ».
Un préjudice dont l’évaluation n’a pas fini de tourmenter le justiciable et son défenseur.